Interview de Thierry Théolier

par Nicolas Gimbert, artiste sonore et étudiant à la Villa Arson.

base de l'iTW orale : le 31 décembre 2010 dans un bar non loin de Laumière.

 

Nicolas Gimbert : Faut-il être engagé politiquement pour avoir un discours et une pratique artistique intéressants selon toi ?

Thierry Théolier : J’ai envie de répondre qu’une pratique artistique qui se passerait de discours me semble plus opératoire. Lorsque tu m’as envoyé cette interview par écrit, j’ai préféré te répondre à l’oral parce que ma pratique m’empêche de m’arrêter pour rédiger, et pour cela, me déconnecter des réseaux auxquels je suis connecté en permanence. C’est une difficulté mais un mal nécessaire à ma pratique. Pour revenir à ta question, je dirais d’abord qu’elle me pose problème parce qu’il y a beaucoup de domaines abordés en même temps ici : le politique, l’artistique, la pratique et le discours. Je tiens à signaler que je ne suis pas un théoricien, je suis juste un utilisateur.

NG : Justement, je t’interroge en tant qu’artiste du Net avec une pratique particulière. Est-ce que dans ta pratique tu injectes un discours politique et si oui, sous quelle forme?

TH : Je pense que ma proposition, mon initiative c’est un peu le minimum syndical que je propose par rapport à une mentalité plutôt dirigée vers la gauche que vers la droite. Pour moi, s’orienter « vers la gauche » ça se traduit par « vers le partage et l'altérité d'abord.». Je suis né en 68 et j’ai un héritage politique de gauche avec une larme d'anarchisme. Comme tout le monde, j’ai reçu une éducation, pas tant catholique que ça mais quand même imprégnée par la culture judéo-chrétienne. Je suis donc baigné dans un climat social et religieux particulier. Quant à ma pratique, elle s’établit effectivement sur le web que je considère comme un chef d’œuvre sans artiste.

Cela pose encore beaucoup de questions en ce début de siècle : qu’est-ce qui est et qu’est-ce qui n’est pas une pratique artistique ? Qu’est-ce qui fait Art actuellement ? Est-ce que c’est produire de l'art pour gagner de l’argent ? Est-ce que c’est encore toujours et toujours vendre des objets ? Je vois apparaitre un concept d' «internet des objets» dans le réseau geeko-cyber-arty et il faudra faire gaffe aux dérives high tech bobo... Pour ma part, ces questionnements renvoient tout de suite aux pratiques de certains artistes des années 1970, les activistes de Fluxus, les situationnistes et les activistes d'aujourd'hui pour le happening, les provocations, et les questionnements sur ce que c’est que l’Art et quelle est sa mise en contexte dans le champ social. Si l’Art, c'est juste des objets produits pour être vendus dans une galerie d’Art ou un concept-store, achetés par des gens qui ont beaucoup de pouvoir d'achat c’est-à-dire des bobos ou des libéraux, à ce moment-là, je ne suis pas artiste.

NG : Cela ne t’intéresse pas?

TH : Cela ne m’intéresse pas politiquement justement et parce je préfère la Vie à l’art et j’emprunte grosso modo cette notion là à Robert Filliou. Parce que la Vie est insaisissable dans son chaos et dans son entropie. Et moi je considère qu’une pratique artistique doit être entropique comme l’est la Vie. Et aussi amener à se poser des questions philosophiques, à donner un sens à sa vie dans un contexte social qui est imprégné et influencé par des dictatures et des pouvoirs hégémoniques.

NG : Hégémonique?

TH : «Hégémoniques Monique! » (source : le «Manifesse» absurde du syndicat - ndlr) On subit tous une pression. Qu’est-ce que fait l’individu sous cette pression continue, sous la pression du temps en premier lieu. Notre vie s’achèvera à un moment donné, on ne sait pas trop quand, on en a une vague idée. Et puis, on doit prendre en compte une pression économique dans la Cité, dans notre ville Paris et je l'appelle la Hype City #3. Qu’est-ce que l’on fait avec tout ça ? Cette question est importante parce que je n’ai pas de réponses claires, parce que je suis truffé de doutes et que je ne veux absolument pas faire semblant de croire qu’il y a un art politique qui serait valable plus qu’un autre.

En fait, je suis intéressé par les petites pratiques qui réenchantent le quotidien. Le Web est apparu a un moment où l’Art était complètement désenchanté, vis-à-vis de l’enchantement quotidien, de la poésie par exemple, dont je me sens très proche. Je suis le petit-fils des artistes conceptuels et c’est parfois dans la poésie sonore que je peux intégrer ma rare production littéraire issue du web et de mon expérience de la hype qui souvent s'apparente à la «loose»...

 

"Play_Pause_Rec" de Lily Tournay

 

NG : Je voudrais connaître ta définition d’Art politique.

TH : L’Art politique idéal est d'abord un art mineur, une pratique poétique humaniste intégrée au social et au quotidien. Intervenir comme quelqu’un qui soulage, quelqu’un qui fait du bien à l’autre. Si tout le monde se faisait du bien de manière collective, ça serait une action politique de réenchanter, de soulager son public ou son voisin ou son interlocuteur ou celui qui est derrière l’Ecran à travers la relation connectée.

NG : C’est une action sociale ?

TH : Voilà, je considère que la politique c’est d’abord d’intervenir dans un champ plutôt restreint, au niveau local par exemple. J’ai eu l’idée d'entreprendre une action qui serait de partager les informations concernant effectivement quelque chose qui n’est pas du tout, en apparence, politique mais qui, au cours des années, est devenu complètement politique. Cela questionne des représentations sociales qui sont assujetties par des marchands, des marques. On est dans un contexte urbain et mondain de mégacité avec cette hype omniprésente.

NG : De mondialisation, de globalisation, de capitalisme?

TH : Je parle de la même chose que les artistes défendaient dans les années 1970. On est le 31 décembre 2010 et je ne vois pas pourquoi les artistes d’aujourd’hui auraient lâché l’affaire par rapport aux utopies des années 1970. Tout ça au nom de quoi ? Du cynisme ? De « l’esprit Canal » ? De la Quête du Graal de la Retraite ? Les artistes qui ne s’occupent pas d’un réenchantement éthique du quotidien ne m’intéressent pas et je n’ai rien à faire avec eux s’ils ne veulent pas intervenir dans le champ social. A chaque fois, je vois que les véritables propositions artistiques à mon goût par rapport au media contemporain - le web - ne sont jamais données par des artistes ou très rarement. Je veux parler des Artistes Clairement Définis comme Artiste c’est-à-dire « Artiste chez Machin dans la galerie Truc et qui sort de l‘Ecole Bidule ». Qu’est-ce qu’on a vu venir après dix ans de la création sur internet : Facebook et Wikileaks (Myspace s'étant cassé la gueule et Ning étant trop cher pour le hypeux). Art ou pas art, ce sont les seuls événements cyberpop. Les plasticiens là-dedans, il en reste quoi entre ces deux monstres médiatiques ? Dont l’un représente l’antithèse de l’autre mais je préfère dans l'absolu, la proposition collective Anonymous. Il reste quoi ? L’interstice comme celle parfois d'un David Guez ou de Systaime qui est beaucoup moins percutante au niveau mondial certes mais qui s’inscrit dans le champ d'une action immédiate sur les micro-réseaux et pour d'autres, un action urbaine locale. Dernièrement, je suis content de la parution du livre Artivisme...

NG : Effectivement, je te poserai des questions à propos des artistes qui y sont présentés puisque l’on peut y voir autant des grapheurs, des collectifs, que d’artistes déjà en place sur le champ social politique ou fictionnel.

TH : Je pense qu’avant de se poser des questions politiques, il faut se poser des questions philosophiques et réfléchir en fait à « tout ce bordel ». Le monde apparaît d’habitude comme un immense bordel où la loi du plus fort est toujours celle qui arrive à dominer, c’est donc toujours et toujours ce putain de pouvoir.

NG : La loi du plus fort donc celle du plus riche ? Cela vaut aussi pour le milieu de l’Art ?

TH : du plus malin et du plus riche …

NG : … par le collectionneur, le curateur, le mécène …

TH : Je les emmerde. Je veux dire que je suis arrivé à un tel point que pour moi l’Art n’existe pas dans ces termes-là : galeries, musées, institutions, artistes plasticiens, cela ne m’intéresse pas même si j'y suis assujetti et du coup, aliéné par çà. J'ai choisi d'organiser des évènements dans les squats et les lieux accessibles pour bouffer et être libre sur le web. Je mixe parfois dans les clubs et bars et c'est de la survie.

NG : Il n’y a aucun critique d’Art qui t’intéresse plus que ça?

ThTh & Jean-Yves Jouannais / photo: Jurgen Ostarhild

TH : Si. Il y a un critique d’Art que j’aime bien parce qu’à la base il est marxiste, c’est Paul Ardenne et j'allais oublier, Jean-Yves Jouannais pour son essai sur les artistes sans œuvres !!! Je pense que si une pratique est politique, elle n’a pas besoin de discours ou alors juste une explication sur la pratique ou une présentation. Le Syndicat Du Hype est une micro proposition à mon échelle de consommateur d’événements parisiens, de fêtard mais aussi de réseauteur, j’ai proposé depuis juillet 2002, un partage d’informations corporate dans un réseau, un milieu qui jouait et qui continue à fonctionner vraiment sur la rétention d'informations et l'exclusion sociale de proximité : les fameux carrés VIP et autres entrées de clubs fermés. On sait que le milieu parisien est dominé par la com’, la pub, l'art et le business en général et c’est ce que je me suis attelé à désigner comme La Hype.

Mon réseau associal comme j'aime dire (ou alors hypersocial...) a d'abord fonctionné sous forme de liste de diffusion puis de blogs collectifs comme le feu Squat des Branleurs ou les casseurs2hype lui toujours actif. Le Syndicat est aussi ma scène virtuelle. Il y a une thématique sans cesse déconstruite par moi et mes avatars, l'ultime étant le Nobody de mon Blackblog. C’est-à-dire que je vais m’atteler à resserrer et ouvrir sans cesse la thématique et les identités de ma liste de diffusion, c'est une respiration éditoriale ludique et parfois violente. Il y a toute une technique d'animation de motiver les abonnés pour envoyer une info concrète qui serait le partage de quelque chose de détenu par les initiés, les branchés, les trendsetters et les VIP's ou du moins ceux qui bossent pour eux. Les rendez vous de la Hype sont les vernissages d'art contemporain-contemporain, d'art numérique ou de présentations Web 2, les Open Bars, les soirées semi-privées («semi» car ensuite étalées sur des sites publics) et pour finir le pire : les défilés de mode et ses after... Le SDH permet à certaines personnes profanes de rentrer en contact avec des personnes de pouvoir et d'influence et de faire de l'entrisme mondain (terme qui est devenu branchouille avec une revue arty-queer).

A la fin de chaque message du syndicat, il y a une citation de Stewart Brand : « Avoir la bonne information au bon endroit peut vraiment changer votre vie », ça a été déclaré devant la première conférence de hackers (MIT, 1984). A mon niveau je me suis dit « à Paris, quelle information peut changer ta vie ou peut la favoriser ? ». Je pense désormais que ça peut aussi la détruire en cela que la hype est destructrice. Ce n'est pas l'amour qui nous séparera mais la Hype pour paraphraser un certain pendu habillé en agnès b...

NG : Est-ce que pour toi le Syndicat t’a changé la vie ?

TH : Carrément ! Bien sûr ! Mon physique, mon look en témoignent et surtout mon compte en banque qui est souvent dans les flammes...

NG : Est-ce que c’était finalement une façon de transgresser un milieu super fermé, de mettre une bombe dans ce milieu ? Faire une sorte de hacking … c’est une performance en fait ?

TH : Oui, tout à fait. Ce n’est pas à moi de dire ce qu’est le Syndicat. Je parle très mal de mon travail... disons que je pense que les gens qui veulent comprendre, comprennent. Et ceux qui ne veulent pas comprendre parce que cela les fait chier, parce qu’il y a un processus médiatique vraiment libertaire et aliénant qu'ils ne veulent pas se coltiner parce que c’est un dessein sans fin de vouloir le partage, la liberté d'expression sur le web et que c'est être contre-nature de «casser d'la hype» pas rentable comme activité et ceux-là ne voudront jamais comprendre et participer au SDH, ils magouillent et comptent les biftons, ça m'arrive aussi mais c'est toujours de la survie.

traces DJ set à la MACHINE

 

NG : En même temps les personnes qui participent au SDH s’inscrivent de leur plein gré?

TH : Oui, bien sûr mais ils sont passifs. Ils attendent que ça tombe et ça me déprime. Ils consomment du SDH comme du M6. Ils le critiquent alors qu'ils pourraient le transformer à leur guise. Les média branchés m'ont aidé à construire ce réseau en parlant de mon travail (surtout Technikart et Chronicart, le reste des bobos journaleux a suivi...) car j'étais le seul crevard à diffuser ce genre d'infos. Maintenant les abonnés de facebook le font par défaut mais certains events restent privés. De plus la fonction de délation - le flag - est trop utilisée et la liberté d'expression (et même ses dérives) est compromise à chaque instant. C'est pour cela que j'ai ouvert le SDH 2.0, trouve moi des photos comme çà sur FB. Je spamme en rapport avec le mondain, le politique, le symbolique et avec l’action urbaine. Il y a eu les casseurs de pub, les Adbusters. Il y a trois ans, ils se sont réveillés et ils ont mis en avant le phénomène des hypeux. Moi, avec ma connaissance des médias culturels branchés et avec l’aide de journalistes potes, j’ai réussi à ressentir qu’en fin de compte, au-delà de la politique, au-delà de l’art, au delà de tout, en étant dans la vanité et le réel le plus violent et le plus brutal, tu as cette notion de «tu es in ou tu es out, tu fais ou tu ne fais pas partie du truc et ce truc s'appelle La Hype» qu'elle soit overground ou mainstream quant à l'underground c'est aussi un ghetto avec ses lois.

NG : Tu as créé un juste milieu ?

TH : Je suis surtout un passeur, parfois je casse et stimule ce que je défends, je tease avec les moyens de la com virale. Je suis payé parfois pour faire de la com. Je trouve ça assez dégoûtant d’être simplement individualiste et de ne voir que son propre succès et son propre intérêt. Je pense que l’on peut réussir ensemble si on a cette faculté de vouloir partager et de vouloir faire passer l’information. En cela j’ai essayé de faire partager à des parisiens non-initiés un média de proximité via des e-mails qui tombent chaque jour, avec des propositions d’informations ludiques, avec également des informations concernant la contre-culture mais sans être dogmatique et sans dire « ça c’est de l’Art, ça c’est politique, et ça ce n’est pas politique ». Et surtout avoir toujours la notion que c’est une scène de théâtre, où l’on peut mettre des masques et où l’on peut donc dire des choses avec un humour ubuesque ou bien belge! J'adore les belges.

NG : Artiste sur le non-art comme Jacques Lizène par exemple ?

TH : Aujourd'hui je suis étonné que dans mon réseau politico-arty peu de personnes fassent acte de communion et partagent une information telle que « Hé demain c’est le 1er janvier ! Yakoi'soir ? ». Que l’on soit pour ou contre les commémorations, les cérémonies, c’est symbolique. On est traversé par ça. Le nier serait hypocrite. C’est une forme de participation artistique d’envoyer un simple mail engagé ou poétique. Maintenant on a du mail art un peu partout à n’importe quelle seconde. Qu’est-ce que font les artistes maintenant sur les mailing listes : ils font leur promotion mais ils ne partagent pas vraiment de réflexions, de sentiments. Cela semble avoir un peu disparu du champ.

NG : C’est un peu ce que me disait Nathalie Magnan quand elle me parlait de Nettime-fr au sujet du vide des discussions et des dialogues sur des forums politiques par rapport à ce qu’ils étaient avant. C’est devenu effectivement plus de communication d’artistes que des échanges réels.

TH : Le problème de ce genre de communauté c’est que déjà la publication des mails dépend d'une politique de modération, donc Magnan avec un certain Aris, modèrent et à partir du moment où tu modères, tu coupes le flux. Mon syndicat est modéré, mais j’ai laissé une brèche, un compte gmail anonyme où tu peux à tout moment gatecrasher ma modération donc mon pouvoir. Je ne peux à aucun moment gatecrasher Magnan, elle peut décider de ce que je peux/dois dire ou pas et là arrive le consensus et l'autocensure s'installe, ça n'a pas l'air de leur poser problème, moi j'ai cherché une solution à l'interface communautaire pour faire passer parfois la critique frontale contre le SDH ou titiller mon ego et ma vanité. Sur mon blog collectif, n'importe qui peut se logguer et s'exprimer, critiquer ou faire sa pub.

NG : Pour le magazine Vivre Paris tu as fait une interview où tu expliquais que pendant une période tu as laissé le FN et les extrêmes s’exprimer sur ton réseau.

TH : Oui, complètement. Ça s’appelle l’altérité, si quelqu’un ne veut pas entendre la parole de l’autre même si elle est extrême ... cela te fait réfléchir sur qui sont les extrêmes. Cela te met à l’épreuve de tes propres convictions. Tu choisis d’être «con» ou d’être sceptique. Et je choisis d’être sceptique ; plus je suis sceptique, plus j’ai l’impression d’être moins «con». Ceux qui sont effectivement certains de ce qui est la vérité, qui ont un dogme, pour moi, ils sont plus que «cons». Ce n’est pas possible, ils sont fermés à la vie en fait. Ils s’enferment, leur esprit est scellé.

NG : Tu connais d’autres listes plus alternatives ? Ou alors tu as la seule ?

TH : Je suis capable de parler de choses très triviales comme de choses très pointues, de choses très artistiques ou de choses très mainstream comme les jeux vidéos ou les «nanars». Je ne crois pas que quelqu’un fasse la même chose que moi. Le syndicat c’est une des rares mailing-lists où tu puisses t’exprimer à Paris même si tu habites à Palavas-les-Flots... OK en t’étant fadé le personnage «TH» - t’es pour ou t’es contre - Je n’aime pas être mielleux avec la démagogie du mec tolérant donc tu me tolères ou tu ne veux pas me comprendre et tu te casses. Je ne vais pas essayer de me faire comprendre ou être gentil et si t’es simplement aussi dans l’ego trip, tu ne m’aimes pas. Je te renvoie à tes limites.

NG : En même temps tu joues sur ça, avec ta casquette par exemple, c’est un personnage que tu t’es créé. Tu es performeur sur scène et assis derrière ton écran à poster pour le syndicat. Ce n’est pas le même rôle, c’est une forme d’altérité ?

TH : L’altérité ultime c’est mon personnage dans mon personnage. J’y mets toutes mes extravagances, mes pétages de plomb, mes doutes, ma colère, ma haine ou ma faiblesse. Parfois sous d’autres noms, d’autres avatars. Un jour, je me suis dit « ce n’est que toi en fait alors assumes toi comme tu es et on verra les effets...». Ce qui est un gros problème avec le web, c’est que l’on communique par écrit donc c’est toujours difficile de gérer l’ego et les ressentiments. A une provocation que tu as faite par besoin (ou faiblesse...) tu ne surenchéris pas dans la provoc’, tu fais profil bas, tu dis des choses qui baissent la «flame» mais dans le consensus, il ne se passe plus rien ; tout le monde est plus ou moins d’accord. Et tout le monde est d’accord qu’il faut se faire un putain de trou dans le milieu de l’Art, et que la politique là-dedans, comme l’Art, n’a rien à voir. C’est simplement les carrières respectives de chacun et on sait très bien que l’on est tous des gros malins. Il y en a qui réussissent mieux que d’autres mais, en fin de compte, on est un peu désabusés de notre soi-disant conscience politique. Conscience qui ne masque qu’un intérêt personnel : la réussite quelle qu’elle soit ou la survie.

C’est en cela que je pose d’abord le philosophique et après seulement, le politique. Parce que le politique cache le vrai sens de nos actions : pourquoi on fait ça ? Si quelqu'un privilégie une action parce que cela va lui réussir, alors en cela il n’est pas politique, il est juste vaniteux ou dans le mauvais sens du terme entriste. J'aime bien le terme Ventriste au fait ! C’est lorsque quelqu’un fait une action et qu’il sait que ça ne va déboucher sur rien. Pour ma part, quand j’ai fait « Le Festival de la Loose » (qui est né en discutant un soir au Cercle Pan!...) en invitant des artistes dans le parc des Buttes-Chaumont, c’est au départ parce que je n’étais pas d’accord avec ce qui se passait en Chine et j'ai réagi à mon niveau local (le 19e arrondissement). Disons que des actes héroïques voués à rien, c’est peut-être çà aussi politique. Une espèce de bravoure, un éclat qui permet de relativiser les enjeux matérialistes et hyper concrets de notre place dans le cimetière social - faire son trou - ou dans le musée justement. Un artiste qui ne bosse que pour être dans un trou de musée ou une vitrine de galerie, il est juste en train de préparer sa retraite : est-ce qu’il est vraiment un artiste intéressant ? Moi, je ne suis pas artiste dans le sens où je n’ai pas une pratique artistique très poussée dans le Réel : les objets. Je suis aspiré par la Part Maudite du web, la dépense, je flambe pas mal, mon temps et mon énergie !

NG : Tu fais quand même de la performance ?

TH : Ouais mais j’en fais en dilettante. Je suis autodidacte. Mes voisins m'ont clairement interdit de répéter... Mon école à moi c’était de côtoyer au meilleur moment des artistes parisiens, au moment d’une belle époque de l’art contemporain, entre 1998 et 2000. Et l’exposition ZAC 99 [Zones d'Activation Collective, une exposition qui a eu lieu au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, du 7 au 28 octobre 1999] a complètement phagocyté et tué les propositions et tous les artistes à un moment donné. Les opérateurs comme Glassbox, Public>, Infozone, Accès Local, Paris-Berlin ou le Syndicat Potentiel, ils avaient tous des propos et des actions culturelles politiques - déjà être indépendant c'est politique - et quand ils se sont fait aspirer par ZAC 99 - une petite bourge aux commandes de l'aspirateur - des personnalités leader ont été pointées du doigt et ils ont trouvé leur petite place à l’école aux Beaux Arts, à Machin Chose et on a plus entendu parler de ces collectifs ou alors dans un cursus institutionnel de merde où le conformisme et les objets sont rois, les processus relégués sous formes de demandes de subventions adaptées au marché de l'art hyperbobo. Pour moi, qui a aussi participé à cette mort programmée des collectifs, invité par Frédéric Madre au Art. vs. Economy, ça a été alors une belle fumisterie des opérateurs, une grande hypocrisie des acteurs. Je peux les comprendre, mais j’ai l’impression d’être un des derniers à continuer à faire ce travail d’action.

Et puis j’ai vraiment un amour du rire, de celui qui libère. Pour moi le premier hack, c’est le rire. Quand tu fais rire quelqu’un, tu le libères. Quand il n’y a pas d’humour, quand il y a simplement de la théorie, des grands discours, ça m’emmerde, je trouve ça mortifère. Ce n’est pas ouvert à 360° par rapport à son cœur, à sa cervelle, à ses couilles et à son cul dans l’univers entier. Je suis un peu mystique à ce niveau-là. Je trouve qu’un art doit se mystifier lui-même pour ne pas être neutralisé par des choses hyper conventionnelles et structurées où la poésie n’a plus rien à foutre. J’ai un vrai grand amour pour les poètes de la loose.

Et c’est aussi vrai pour les performeurs quand ils agissent d’une manière gratuite dans l’espace urbain. J’ai fait une action à Beaubourg qui s’appelait « La Toile d’araignée : Hacking Bourgeois » qui était une forme d’action par rapport à l’Art et à mon ras-le-bol de voir une certaine forme d’artistes bourgeois justement. Elle, elle s’appelle Bourgeois et elle fait « voilà, je vous ai conquis, c’est mon territoire, je suis une Bourgeois». Et elle fout des trucs monumentaux dans l’espace public, une araignée qui te domine et là je dis : bon je vais lui apprendre ce que c’est de partager l’espace et que l’art pour moi, c’est pas une grosse araignée que tu peux voir dans Starship Troopers. J’en ai rien à foutre de ces trucs-là. Je pense que l’art actuel est complètement dépassé par les propositions du Spectacle et que l’art numérique est quasi nul face aux jeux videos et au Web 2.

NG : Il est super underground, caché comme les hipsters, il n’y a presque pas de subvention à part peut être un lieu (le Cube à Issy-les-Moulineaux) mais qui est très institutionnalisé. Franck Ancel nous le montre bien.

TH : Les hypeux ne sont pas cachés. Les hackers oui... Franck, par exemple (avec qui j'ai passé le réveillon de Noël pour gagner un peu de thune) est un des seuls de mon réseau lié à nettime.fr, au SDH, à olalaparis et à Culture Multimédia (liste de diffusion sur les arts multimedia du gouvernement tenue par Jean-Christophe Théobald) qui semble être énervé par les aberrations de l'art institutionnel - le délire du 104 ou la future Gaîté Lyrique - et des pouvoirs privés/publics. Je suis aussi inscrit à Syndicate et Spectre mais ce sont des mailing-lists étrangères qui vont directement dans ma poubelle car elles sont juste dans le consensus corporate underground. C’est comme nettime.fr mais en plus fermé et crypto. Ils n’ont aucune volonté d’être des pop stars ou vraiment des activistes dans le Réel. Ce sont juste des intellos, des geek-insiders qui s’échangent des infos sur le Net Art et font leur pub… ou pire sur ce qu’a été le Net Art ! Ils sont complètement confinés. Je les ai côtoyés à une époque comme j’ai côtoyé la scène contemporaine française entre 1998 et 2001... En 1999, il y a eu la rencontre avec les restes du net art. J’avais été invité à ZAC 99 par Frédéric Madre donc et je me suis retrouvé devant Raymond des Yes Men et moi tout suite je n'étais déjà pas dupe des Yes Men. Je suis désolé mais les Yes Men à un moment donné, ils ont fait des belles actions avec une forme de poésie comique mais qu’est-ce qu’ils font quand ils vont travailler avec Karl Zéro ?

NG : Après, c’est peut-être une autre culture je pense, ils se sont sans doute institutionnalisés ?

TH : Oui... Le problème aussi dans les arts numériques c’est que, dans le meilleur des cas, ils se font remarquer, ils ont une action subversive vraiment mais ça devient toujours show time et récup'. Moi j'ai commencé avec alibi-art et je ne fais plus que des lectures ou parfois des performances...

NG : Cela rentre dans la société du spectacle?

TH : Exactement. Et moi tout de suite je me suis positionné avec un rapport hystérique à ça, à me faire très vite récupérer par les média hype, parce que pour moi après la récup', la vraie question reste philosophique. Elle n’est pas dans l’Art ou dans l’intervention politique. Et quand tu te poses des questions philosophiques, existentielles, religieuses ou spirituelles, là apparaissent la poésie et l’humilité face à la beauté. Alors, tu reviens à des choses classiques : la contemplation, les gestes simples, c’est très proche aussi de la branlette intellectuelle je le sais... ça me touche néanmoins. Parfois je filme çà.

Mais en même temps quand tu te rends compte que tu as beau faire des interventions «contre» tu sais comme les Don Quichotte avec leurs tentes au vent pendant les Jeudi Noir mais tout n’est pas 100 % politique, tout n’est pas 100 % artistique, il y a un grand mélange qui s’opère dans une action, qu’elle soit artistique ou politique c'est aussi lié à une réussite personnelle ou un ego trip. Les Yes Men y participent. Julian Assange aussi : je vois sur son site sa gueule et je vois une citation du Times ! Ce n’est pas possible, ou alors t’es encore une pop star de plus. Il a fait son coup d’éclat : évidemment il a touché dans le mille, mais moi dans mon quotidien qu’est-ce qui change réellement ? Pas grand-chose. Je savais que je me faisais enculer et maintenant je le sais encore mieux. J’ai même écrit ça par rapport au SDH, c’est dans mon bouquin. Je disais : avant c’était bien la hype, on ne savait pas, maintenant on sait et c’est encore mieux parce que maintenant chaque jour tu le sais sur le SDH. A partir de la politique, c’est la prise du pouvoir et ce que tu en fais.

NG : Tu me disais tout à l’heure que les artistes intéressants selon toi, par rapport à ces questions, étaient présents jusqu'à l’an 2000 ? Le sujet de ce mémoire court de 2001 jusqu’à nos jours. Est-ce que finalement l’entrée de Nicolas Sarkozy au pouvoir n’a pas joué sur ça ?

TH : Au contraire, plus l’adversaire est devant toi, plus tu te retranches dans ton travail et tes choix. Donc non, pas du tout, ça c’est faux ! Au contraire il y a quelqu’un de droite qui s’établit alors c'est dans l’adversité que tu trouves l’énergie. Ou alors t’es tout simplement un suiveur, un sucker et tu sers la soupe à droite à gauche et au centre tiens. Moi, j’ai des doutes de gauchiste tarama, même derrière mon ego trip et derrière mon côté too much : j’ai des bases de gauche, et puis aussi de chrétien et d'anarchiste. C’est une schizophrénie permanente.

NG : Justement est-ce que tu ne trouves pas que les gens sont de plus en plus désabusés par la politique et par notre président et qu’ils ont peur qu’il soit réélu en 2012?

TH : Au contraire, ça n’a jamais était autant le moment d’actionner, d’opérer. Les gens blasés ou pire cyniques ne m’intéressent pas. Tout le monde est dandy, cynique désormais c'est hype, ça fait vendre d'être unique mais tout le monde adhère à la religion du Nihilisme. Mon champ social est hyper restreint : je vois des gens habités par les mêmes doutes que moi et qui amènent des petites convictions de temps en temps et je vois les gens qui actent ou qui n’actent pas. Franck Ancel par exemple est le seul à avoir envoyé un mail politique par rapport au RSA et à la Gaïeté Lyrique [le nouveau lieu parisien institutionnel dédié aux cultures numériques]. Mon action par rapport à la culture institutionnelle c’est de faire remonter l’information des squats de Jeudi Noir ou du Collectif 13 chez Jean-Christophe Théobald, pour la montrer aux gens qui sont bien payés, dans des fauteuils bien cirés.

NG : Par exemple le 104 ?

TH : Et leur faire sentir un «Faites gaffe, sachez que dans votre réseau il y a quelqu’un qui fait remonter les informations en haut. J’ai dû parlementer, discuter sans baisser mon froc pendant des heures avec des responsables de listes institutionnelles. Je suis resté intègre par rapport à ce que je défends. Et ce que je défends c’est que moins il y a d’intermédiaires, moins il y a de pouvoir et mieux c’est. Et le Web c’est aucun intermédiaire, une exposition permanente et ensuite tu te fous à la subvention universelle, le RSA et ensuite tu as du succès ou tu n’en as pas. Si ton travail a un écho médiatique, social : tu fais la couverture d’un magazine ou soit tu restes comme tout le monde, un nobody.

Mon action est voisine de celle d’un hacker mais à un niveau très éloigné en termes de globalisation et de forme spectaculaire. Je veux dire que quand je balance des invitations pour un open bar à la mairie de Paris, pour moi c’est pareil que de foutre un document Top Secret, c’est la même énergie. Après, c’est moins bandant pour les journalistes de la fiction du complot. Car en même temps tout se situe dans les soirées hype de type la Soirée de l'ambassadeur avec du people politique. Quelqu’un qui veut shooter Sarkozy avec un gun, il a intérêt à s’être inscrit au Syndicat Du Hype, parce qu’il a besoin de media comme çà pour arriver au geste ultime que je n'approuve pas je suis un non-violent.

Par rapport à la politique c’est surtout t’as un pouvoir décisionnaire et tu fais quoi avec ? Ce n’est pas facile parce que personne n’est parfait, il y a toujours des facilités qui arrivent, des compromis mais ce n'est pas grave, il restera toujours les bonnes choses si tu as assuré...

NG : Sinon est-ce que tu peux me parler de la GAG (Gare Aux Gorilles) ? Les nuits parisiennes étant un peu désertées.

TH : La GAG a bien marché pendant quelques mois puis s’est calmée à cause de problèmes de sécurité et de voisinage. La GAG c’est fini pour moi. Fini dans le sens où, je suis désolé de le dire mais bon, depuis que les pouvoirs publics font très attention au voisinage, ils ont arrêté les soirées car baisser le son à 22 h et partir ailleurs, ce n'est plus très excitant.

 

NG : C’était la pétition qu’il y avait eu pour « La nuit meurt en silence » ?

TH : Ca faisait partie de ça, à un moment donné il y a eu une rencontre entre le syndicat du hype et ce squat. Le SDH c’est aussi d’autres réseaux tels que le Cercle Pan! par exemple, le collectif Mu avec « Filmer la musique » ou le Collectif 13. En fait, le syndicat a un peu squatté la GAG et le squat a de plus en plus été obligé de faire attention à sa voisine de palier. Cette pauvre femme qui habite à côté et qui n’a rien demandé à personne. Cette voisine qui voit arriver toute la culture underground à 1 mètre de chez elle avec des sets hyper noise de Strom Varx ou de Joachim Montessuis, elle a pété les plombs. Ils ont dû respecter la seule personne, cette voisine. Donc une seule personne monopolise l’action contre-culturelle de la capitale ! Et personne n’a réagi, même pas les gens de la GAG. Tu trouves ça normal de dire : il y a eu des supers évènements mais nous on doit se taire à cause d’une voisine. Putain ! Mais moi je réfléchirai à la caser autre part cette voisine. Trouvez- nous un appartement pour cette femme. Mais non, en fait, ils ne réfléchissent pas ou alors ils sont fatigués. Il y a d’autres lieux sur Paris qui existent, par exemple le squat du ô8 du Collectif 13...

NG : Et avec la loi LOPSI 2 [Loi d'Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure] comment ils envisagent ça?

TH : Je ne sais pas du tout leur positionnement mais ce que je sais c’est que la première annonce de 2011 sur le syndicat c’est Marc Zeller de JEUDI NOIR pour l’ouverture de ce nouveau squat. J’ai un problème avec les squats c’est que, pour le coup, ce que j’aimerais voir dans des squats, c’est de l’institutionnel.

NG : Il y a déjà des squats institutionnels.

TH : Non je ne parle pas de squat institutionnel, je dis qu’un squat sauvage expose Pierre Ardouvin par exemple.

NG : Le squat n’a t-il pas pour vocation d’exposer des artistes qui ne sont pas forcément reconnus ?

TH : Et bien moi je suis dans le contraire : je pense que les grands musées devraient exposer les artistes du dimanche et le squat exposer les institutionnels. Je suis dans cette folie-là, quelque chose de surréaliste. C’est pour ça que je préfère l’échange : dans la parole il y a quelque chose de beaucoup plus direct que dans l’écrit. Quand on écrit, on se voit réfléchir. Quand on parle, on ne se voit pas écrire. C’est une trace écrite d’une parole ce que l’on fait, là.

NG : Que penses-tu de la loi Hadopi [Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet] ?

TH : Je ne la connais pas bien. Je ne l’ai pas étudiée. Mais je pense que la seule solution pour rémunérer les artistes, c’est que les pouvoirs taxent non pas l’utilisateur mais les fournisseurs d’accès. Il faut absolument trouver une rétribution pour les artistes un peu installés sur les maisons de disques, les majors et les labels indépendants pour qu’ils puissent profiter un peu de leur production. En sachant que les artistes de musique ne peuvent gagner leur vie qu’en faisant un énorme tabac et un énorme tube, parce qu’il sera repris par la pub, etc. Alors, ils pourront faire des lives payés relativement bien. Ce n’est pas avec la vente des disques qu’ils vont pouvoir s’en sortir. Et c’est fini, j’ai vu une interview d'un chanteur d'un groupe parisien apparenté à la hype overground. Ils étaient censés signer chez Columbia, finalement ce ne sera pas signé sur une grosse major. Le chanteur disait : « J’ai fait une croix sur le délire de la pop star qui a son jet privé ». Retour au maquis en fait et ce n'est pas plus mal à mon avis, comme moi qui devais bosser à Canal +. C’est pour ça qu’en étant dans un ego trip énorme en mettant l’Art comme un idéal je savais que j’allais être un crevard toute ma vie. Que j’allais forcément pas être riche ni célèbre, parce qu’en tant que français, en tant que petit-fils de ces grands artistes comme Duchamp, Filliou etc. tu ne peux pas cartonner dans la hype et le mainstream. Et les Français qui essayent de se mettre du côté de la winne de l'amérique genre Wharol et compagnie, sont dépassés par des Koons et autres Mathew Barney. Qu’est-ce que vient faire un Gaillard dans cette hype internationale ? Je m’en bats les couilles, je préfère Antoine Moreau.

NG : Penses tu que la France à du retard sur d’autres pays au point de vu politique et artistique ?

TH : Nos Yes Men à nous c’est un peu les Action Discrète qui sont produits par Canal+. Action Discrète fait du spectacle, Action Discrète amuse l’abonné. Action Discrète et les Yes Men pour moi c'est idem : ce n’est pas suffisant. Ensuite on a Space Invaders qui se retrouve dans « Faites le mur» de Bansky (c’est David Guez qui me l’a dit hier soir). Space Invaders fini dans le film de Bansky, film qui sort en dvd … comme Guy Debord. Achetez Guy Debord pour Noël en dvd intégral ! Il ne me fait pas rire Debord. Par contre mon dvd pourri, le « Moules Mystery Tour », me fait rire. C’est un dvd que je produis au compte-goutte avec Vincent L’Hostis et Vladimir Tybin. Ce qui est bien dans ce road movie déceptif c’est qu’il y a des propositions de mouvement, des rencontres, d'un voyage un peu piteux mais vivant. Et j’aime beaucoup les Belges pour ça : ils ont une poésie et ils se ne prennent pas au sérieux. De toute façon, je ne me considère pas comme un français, je me considère plus comme un reubeu ou un expat' belge à Paris. Pas du tout comme un français, parce que les français sont trop cyniques, trop dans la conservation, ils sont figés.

Pour Artivisme , je suis un peu déçu de ne pas avoir été cité dans leur bouquin. J’ai fêté mes 42 ans au Monte en l'air pour la présentation de ce bouquin. Les auteurs ont présenté leur ouvrage et il y avait un seul artiste présent, Antonio Gallego. Il a parlé et ensuite il y a eu une personne qui a posé une question sur le découragement de l’artiste, moi je lui ai répondu en live que l’actionnisme, l’intervention de la poésie, de la politique incarnée et intégrée au quotidien était un bain de jouvence. Il y a quand même un esthétiquement correct dans ce livre. Elles (les auteurs) parlent quand même d’Antoine Moreau alors je trouve que c’est bien que ce livre soit sorti. Elles parlent de Noël Godin aussi. Il m’a cité dans son « Encyclopédie de la flibusterie ». Je me demande pourquoi le SDH n'a pas été cité dans Artivisme parce qu'il y a un écho entre la tarte à la crème et le syndicat. Les entarteurs ont besoin d’informations, de rentrer dans le système du in et out. Le SDH pourait leur en apporter soit en crachant dans la soupe soit en entartant le VIP, soit en buvant à l’œil et en repartant avec le mannequin (ce qui est très rare).

NG : Que penses-tu des politiques identitaires des théories queer ?

TH : C’est bien, mais je suis désolé le queer c’est quand même des gens qui sont portés vers un ghetto sexuel. Queer = homosexuel. Souvent je côtoie le réseau Entrisme qui devient très hypeux. Par exemple, j’ai demandé des partenaires pour ma soirée du 6 janvier 2011 « My cat is my life » et ils ont refusé parce qu'ils sont trop sérieux et ne voient pas le troisième degré de cette soirée. Voilà ce qu’est le syndicat : tu as d'un côté un Michael Moore qui agit par rapport à un phénomène spectaculaire (comme Assange) et moi je m’amuse à mettre cela en abîme avec les cartons d'invitation scannés et la mal bouffe de chat en faisant une soirée à propos de croquettes discount de merde qui ont flinguer les reins de mon chat et donc mon moral. C’est ça mon esthétique en fait, activisme du dérisoire mais il doit rester poétique, c’est de dire les croquettes que t’achètes à ED c’est aussi important que la mal bouffe chez Mac Do, les OGM et compagnie. Donc c’est un peu belge cette approche. La critique basique est détournée avec un peu d’humour et il y a une connivence qui s’installe, qui est fun et qui s’inscrit dans le style de la loose.

NG : Les politiques identitaires j’ai l’impression que c’est de péter un peu plus fort… Ce qui m’intéressait c’est la question de transgression, nous sommes dans une société patriarcale et finalement les théories queer c’est contre ça. Grâce au post-féminisme et au post-colonialisme, une non-identité. Après effectivement, on lui reproche d’être communautariste, mais elle défend ses droits.

TH : Simplement c’est une attitude, une posture pour revendiquer ces différences mais si être différent c’est être aussi intolérant à ceux qui sont dogmatiques et fermés à la différence, ça ne sert pas à grand-chose. C’est juste une branchitude de plus. Ce qui est important c’est de trouver sa voie et l’Art permet de donner vie à l’âme qui est étouffée par la pression sociale, familiale et l’identité sexuelle. L’Art permet de montrer une proposition où on se reconnaît. Moi l’Art qui a changé ma vie c’est la lecture de «Sur la route» de Jack Kerouac. Donc si des artistes dont c’est le métier de faire de la provocation pour révéler en fait ta vocation, tes goûts sexuels etc, c’est une bonne chose parce qu’elle te révèle. Mais ça, ce n’est pas une fin en soi. De toute façon rien n’est une fin en soi. Il n’y a pas un artiste ou un mouvement artistique qui serait une fin en soi. Ce que j’aimerais c’est qu’un artiste arrive au sens figuré à supprimer les SDF qu’il y a dans ma rue. En politique, il y a des gagnants et des perdants, ceux qui s’intéressent à la politique des gagnants ils ne font pas de politique, ils ne s’intéressent qu’au pouvoir et à la réussite. Faire de la politique c’est s’intéresser au looser, s’intéresser aux gens qui perdent, ils ne peuvent pas être les meilleurs, les plus beaux, les plus intéressants : en ça c’est poétique car c'est perdu d'avance.

NG : Effectivement, c’est un peu l’utopie de certains artistes qui utilisent l’esthétique relationnelle ou bien la sculpture sociale. Comme le montre l’artiste Rirkrit Tiravanija. Cependant le fait qu’il soit institutionnalisé réduit quelque peu son action. Par exemple il choisit de distribuer de la soupe dans un musée, qui est payant. Les personnes qui en ont le plus besoin se retrouvent alors sur le palier de la porte.

TH : C’est de la merde.. Ce qui nous manque vraiment ce ne sont pas des actions de l’ordre de l’identitaire mais du nobody, comme le collectif anonymous par exemple. Pas un artiste mis en avant mais une action globale interconnectée entre les différents membres comme dans cette fiction d’Alan Moore, « V comme Vendetta », où on arrive à changer les choses mais qu’il n’y ait pas un héros ou bien une star et que les choses soient gratuites au nom d’une non-identité et que cela change vraiment quelque chose. Que les puissants se rendent compte que des gens sages se préoccupent plus de la planète, des opprimés qui sont habités par des convictions sur les Droits de l’Homme, contre la violence. Tu vois il y a tellement de gros salopards qu’à un moment donné il faut une justice. C’est pour ça que l’action citoyenne et politique est très importante. Pour qui voter ? Dans le pire des cas, c’est la politique catastrophique du moins pire et c'est dommage alors agissons à notre niveau local. Il ne faut surtout pas oublier l’humour, ne pas se prendre pour un dieu. Le public peut changer quelque chose sur lui-même. Il faut rester «cool» sinon tu deviens trop straight c’est dangereux et surtout rire de soi même, se mettre en abyme avec un personnage, quitte à passer parfois pour un looser ou un crevard.

NG : Es-tu optimiste par rapport à l’avenir? Ta vision par rapport à 2012 qui approche.

TH : Je suis très optimiste. Parce que c’est que dans l’action que l’on reste vivant. Si tu veux rester vivant sinon…

NG : Tu te tires une balle!

TH : Exactement! Et ceux qui veulent se tirer une balle je leur propose de se tirer une balle comme ça ils ne font pas chier ! A blanc la balle hein...

NG : C’est vrai j’avais fait une soirée à Paris qui s’appelait «Crée ou tue toi»

TH : C’est ça. C’est simplement des gens qui sont trop occupés par leur malheur et ils ne se rendent pas compte des choses à faire pour rendre heureux les autres personnes. « Le festival de la Loose » je l’ai créé quand j’étais vraiment en dessous du tapis et pourtant ça a été la proposition la plus belle que j’ai faite de ma putain de vie.

NG : Ta phrase de la fin ?

TH : En fait tout individu à un moment donné construit sa pensée, son action par rapport à sa situation sociale et tout ce qu’il peut dire et faire est influencé par ses origines. Donc ce qui m’intéresserait c’est de voir quelqu’un qui serait déjà arrivé au top, aller vers le bas et qui ne travaille que pour aider les gens à aller vers le haut en sachant qu’à la fin, il démontrerait que l’on est mieux en bas qu’en haut. Voilà, ça c’est politique et c'est le parti MDR ou NIMP faut voir...

(retranscription, corrections, améliorations, icono et mise en liens : Nicolas Gimbert, Caroline Hazard et ThTh)

 

RDV NIMP @ Skat 2.0 le Ô8 le 5 février